Exposition N. Goeneutte. Trois cent oeuvres réunis. 1895
L’EXPOSITION N. GOENEUTTE
Ouverture prochaine. Le comité Trois cents oeuvres réunies. Succès assuré.
« Le Matin - Derniers Télégrammes de la Nuit ».
Journal du Lundi 15 Avril 1895 - numéro 4.063
C’est le samedi 20 avril que s’ouvrira, à l’Ecole des Beaux-Arts, l’exposition désoeuvrés de Norbert Goeneutte. La presse sera admise, le vendredi 19, à visiter cette exposition.
Le comité d’organisation, qui est présidé par M. Puvis de Chavannes et par M. Henry Roujon, directeur des Beaux-Arts, a réuni plus de trois cents toiles, aquarelles, pastels, eaux-fortes et pointes-sècnes du peintre. M. Durand-Ruel, membre du comité, a bien voulu se charger de l’installation matérielle.
M. Antonin Proust a écrit la préface du catalogue ; son neveu, M. André Proust, qui était l’élève et l’ami de Norbert Goeneutte, a dessiné l’affiche lui annonce l’exposition, et M. J.N. Gung’l, secrétaire du comité, s’est occupé de la correspondance avec les collectionneurs qui possèdent les oeuvres de Goeueutte.
Un artiste original.
Nous pouvons dire que l’Exposition du 20 avril sera une véritable révélation pour les artistes.
Norbert Goeneulte était par excellence un modeste, presque un insouciant. C’est à grand’peine que ses amis le décidaient, chaque
année, à faire un envoi à la Société du Champ-de-Mars, dont il était l’un des fondateurs. Il gardait le meilleur de ses impressions pour son atelier de la rue de Rome, ou, s’il cédait une étude à ses amis, ce n’était qu’après s’être longuement fait prier.
Norbert Goeneutte ne croyait pas aux expositions. Il professait sur ce point l’opinion de Reynolds, qui disait que le succès allait toujours, dans ces exhibitions, à celui qui criait le plus fort, et il avait horreur du bruit. Il était, en outre, de la race de ces artistes de l’Extrême-Orient, qui se complaisent à s’entourer de leurs oeuvres et qui ne veulent point s’en séparer.
Sa fortune personnelle lui permettait ce luxe et quand il revenait de ses voyages en Bretagne, en Hollande et dans le pays vénitien, rapportant des pages d’une exquise naïveté, sa grande joie était de les porter chez sa mèra, A Auvers-sur-Oise, et de les rapporter, peu de temps après, dans son intérieur parisien.
Une famille éprouvée.
Il est peu de familles dont la destinée ait été plus tragique que celle de Norbert Goeneutte.
Au mois d’octobre dernier, le 8, il était brusquement enlevé par une congestion pulmonaire, à peine âgé de quarante ans.
Sa mère, que ce coup avait horriblement frappée, mourait huit jours après, tuée par le chagrin. Son frère Charles était forcé
d’emmener dans le Midi sa soeur, dont la santé inspirait les plus vives inquiétudes. Elle est, a l’heure actuelle, à peine rétablie.
L’homme.
Il n’était pas d’homme plus séduisant que Norbert. D’une taille moyenne, avec des traits d’une parfaite régularité, il avait le parler doux, lent, presque traînant. Le mot venait à ses lèvres vous surprenant par une note d’esprit imprévu, mais toujours d’une parfaite bonté. Il n’a jamais émis un jugement méchant sur ses camarades, ce qui est rare dans un temps où l’on se déchire avec une tranquille ferocité et dans un monde où l’on n’est pas d’ordinaire tendre pour le voisin.
Avec l’allure d’un enfant de Paris de nos jours, il vivait dans un idéal qui n’est pas de notre siècle, épris jusqu’à la passion de ce qui est simple, vrai et sincère. Il restait des heures entières devant une fresque de Botticcelli ou devant un dessin de Glouet, trouvant dans la contemplation de ces chefs d’oeuvre des observations qui vous transportaient à mille lieues des mesquines préoccupations de l’heure présente.
En toutes choses, il prenait, d’ailleurs, le chemin des écoliers, n’aimant pas celui des docteurs.
Dans les semaines qui ont précédé sa mort, il était allé en Hollande, pour la vingtième fois peut-être, et il s’était embarqué à Dunkerque sur un bateau marchand qui ne prenait pas de passagers, mais qui avait consenti il l’emmener parce qu’il s’était lié avec les matelots dans un des cafés du port. Après quinze jours, il accostait à Rotterdam, après avoir pris part à la manoeuvre et fait le portrait de tous les gens du bord.
« Je ne me suis jamais tant amusé, disait-il en riant. C’est comme cela qu’il faut aller en Hollande. La voie que vous tracent les indicateurs de chemin de fer est absurde. Jusqu’à présent je n’avais jamais rien vu. Cette fois j’ai découvert la Hollande comme Christophe Colomb a dû découvrir l’Amérique, après toutes les angoisses d’une traversée où j’ai pu faire mille croquis de choses dont personne ne se doute, »
Le pauvre homme, qui n’était pas blindé comme les marins goudronnés qui font habituellement le métier du cabotage, avait sans doute pris là le germe de la maladie qui devait l’emporter.
A l’Ecole des Beaux-Arts.
Pendant huit jours seulement, le public pourra voir à l’Ecole des Beaux-Arts l’exposition des oeuvres de Norbert Goeneutte et admirer la merveilleuse fécondité de ce cerveau si particulièrement bien doué. L’exposition est faite au profit de la Société nationale des Beaux-Arts. Elle ne sera suivie d’aucune vente, la famille désirant conserver précieusement tout ce qui lui a été laisse par cet admirable artiste.
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